Une invitation à se pencher sur la dynamique historiographique de l'amour à travers une expérience archéologique insolite évoquant tour à tour les tombes d'Adam et Eve, le papyrus orphique de Mangalia, les inscriptions d'un lupanar de Pompéi ou encore les tombeaux des soldats de la Première Guerre mondiale.
Moi qui adore l'Histoire et encore plus l'Histoire insolite, je dois avouer que j'attendais beaucoup de cette lecture. Avec cette entrée originale, je pensais lire une forme de documentaire historique sur la notion d'amour à travers l'histoire. Et c'est le cas d'une certaine manière mais cette approche m'a semblé extrême académique et réservé à un public d'initiés.
Il y a une vraie rigueur dans les recherches et leurs rendues mais tout est proposé dans un langage tellement scientifique que ce livre prend des allures de manuels universitaires.
Ma lecture a donc été enrichissante mais elle m'a semblé indigeste par sa rigueur. J'aurais peut-être aimé une vulgarisation dans ce que cela inclue de rassembleur et un style plus léger et plus littéraire.
On voit donc comment l'amour est évoquée à travers les siècles avec une mise en contexte fort intéressante, comment l'artiste travaille ce sujet de manière différente mais aussi avec des points d'achoppement récurrent à travers les siècles, comment la vision de l’amour a été instrumentalisée, détournée. Bref, cet essai est une réussite en cela.
C'est un livre intéressant dans ce sens mais il ne peut être destiné qu'à un public d'initié de ce type d'essai.
Le journal de chantier d’Agatha Christie, Come, Tell Me How You
Live, est un livre d’archéologie (discrète), et d’amour (tout aussi discret).
Le Tell du titre renvoie au tell archéologique – monticule artificiel qui
résulte de l'accumulation de constructions successives sur des périodes de
centaines, voire de milliers d’années. Il fait également référence au poème du
Cavalier Blanc (De l’autre côté du Miroir de Lewis Caroll) parodié par Agatha
dès l’ouverture de son journal. Elle en fait une poésie d’amour pour son mari,
Max Mallowan, l’un des plus célèbres archéologues britanniques ayant travaillé
sur les sites d’Irak et de Syrie. Soit dit en passant, ce pastiche n’est pas
très flatteur pour l’archéologie. Mais nous n’avons guère le choix, les poésies
dédiées à cette science ne sont pas légion, l’archéologie est en effet très peu
à l’honneur dans la littérature, de manière générale. C’est encore Agatha
Christie qui prend pour cadre les fouilles archéologiques dans quelques-uns de
ses livres, notamment Meurtre en Mésopotamie (1936), fruit de son expérience
orientale sur les chantiers, celui d’Ur en particulier. Le bel architecte du
roman semble inspiré par son mari qu’elle avait d’ailleurs connu sur ce même
chantier. Dans Mort sur le Nil (1937), on trouve un autre passage significatif
où Hercule Poirot compare le travail du détective à celui de l’archéologue.
Pour revenir à ses mémoires archéologiques, les premiers vers du poème en
préambule définissent l’archéologie comme l’art qui consiste à mesurer les
vases antiques de mille et une manières et de les décrire en termes aussi longs
que possible dans le seul but de démontrer quelles grossières erreurs ont
commises les archéologues précédents. Ils préfigurent la juteuse satire de Paul
Bahn sur l’archéologie, The Bluffer’s Guide To Archaeology, parue en 1989 et
régulièrement rééditée depuis. Agatha ajoute que l’archéologue a le devoir
d’honneur de mépriser tout ce qui relève de « notre ère ». Elle note d’ailleurs
aussitôt que si son mari est en train de prendre le thé son esprit est bien
loin de là, en l’an 4000 et des poussières avant Jésus-Christ. Dans une autre strophe,
Max découvre des objets anciens (au nombre desquels des figurines obscènes),
les photographie, les enregistre et les envoie aux musées britanniques.
Comprenons qu’il n’entend pas les laisser aux pays où ils ont été découverts.
Malgré toute son ironie, tantôt délibérée, tantôt involontaire, cette poésie
est fort chaleureuse, y compris lorsqu’elle nous montre Mallowan allant et
venant sur le chantier, les poches pleines de tessons de céramique, ce qui
n’est pas l’idéal même si l’on a une mémoire infaillible du contenu de ses
poches. Quoi qu’il en soit, si Agatha Christie semble peu sentimentale à ceux
qui ne la connaissent qu’au travers de ses romans policiers, ce journal sur la
vie d’archéologue en Syrie, la révèle capable d’une réelle nostalgie, en dépit
de ses allusions mordantes.
Cela s’explique peut-être par le fait que ce journal, achevé au printemps 1944
(et publié en 1946) a été écrit à Londres pendant la guerre alors que son mari
était mobilisé en Égypte. Le plaisir qu’elle prend à évoquer sa vie sur le
chantier en compagnie de Max est réel, incontestablement. Il est d’ailleurs
très possible qu’elle ait été plus sensible encore à la vie quotidienne des
chantiers en général qu’à l’archéologie, sentiment bien plus fréquent chez les
archéologues qu’on ne pourrait le penser.
Notons ici une scène qu’elle transcrit avec modestie mais qui illustre à
merveille ses rapports avec le milieu oriental ; un cheik en visite sur le
chantier de Mallowan aperçoit Agatha en train de lire et dit, aussi inquiet que
surpris, à son mari : « Madame sait donc lire ! Ne me dites pas qu’elle sait
écrire aussi ! » Ce n’est que plus tard qu’Agatha Christie deviendra l’auteur
le plus vendu au monde. Un jour où elle doutait de la réalité de son succès,
elle se remontera le moral en se disant qu’un de ses personnages figurait dans
les mots croisés du Times…
La nostalgie affleure aussi lorsqu’elle taquine son archéologue de mari en
diverses circonstances, par exemple lorsque la valise qu’il se prépare à
emporter sur le chantier est bourrée de livres. (Pourtant, elle notera plus
tard dans son autobiographie qu’elle se faisait livrer chaque semaine des colis
de livres sur le site.) De même quand elle lui reproche que son bureau soit
encombré de boîtes d’allumettes pleines de perles et d’autres menues
découvertes ou encore de ne voir dans les motifs de chacune de ses robes que
des représentations de la fertilité ou d’autres symboles figurant sur les
céramiques préhistoriques (sa robe à losanges enchaînés comme sur les vases de
Tell Halaf !) Apparemment, il en faisait de même avec elle : le soir du départ,
il demande à Agatha de monter sur la valise pour réussir à la fermer («si tu
n’y arrives pas, personne ne le pourra » lui dit-il perfidement). Sauf que sa
ligne ne la préoccupait guère ; elle n’hésite pas à noter ailleurs qu’elle ne
pouvait pas entrer dans son sac de couchage sans l’aide de Max… (Sur le
chantier, elle dispose d’un oreiller en duvet qu’elle a apporté d’Angleterre et
dont elle dit avec sagesse : it makes all the difference.) Elle avoue
également, avec une sympathique auto-ironie, que ses propres valises sont
pleines de chaussures pour le très grand agacement des douaniers turcs (tout
voyage archéologique commençait dans l’Orient-Express en partance de Calais
pour Istanbul). Y figurait aussi un chapeau qu’elle avait choisi, comme tout
archéologue regardant, d’un modèle à même de lui garantir qu’il ne serait pas
emporté au premier coup de vent. Le plus grave problème de couple qu’elle
mentionne est que son mari se désespère de constater qu’elle ne boit pas ni ne
fume. Max tente de faire son éducation sur ce point mais ne réussit pas plus à
obtenir que la fumée ne la fasse pas tousser qu’à lui faire reconnaître une
différence entre les boissons. Convaincre les serveurs qu’ils devaient servir
de l’eau à sa femme a empoisonné – prétend-il – dix années de sa vie.