Le
problème avec Charley,
c'est qu'elle a volé mon cœur la première
fois que je l'ai vue,
il y a plusieurs siècles.
Les deux très courtes nouvelles sont extraites de l'anthologie Les amants des ténèbres aux éditions Milady.
La
narratrice de la première nouvelle n'est plus Charley comme
d’ordinaire mais une de ses « clientes »décédées.
Alors rien de génial au niveau de l'histoire mais le clin d’œil
est vraiment sympa et la verve de Darynda Jones fait toujours mouche.
La
deuxième nouvelle est extrêmement courte et là AU SECOURS !
Le narrateur n'est autre que Reyes. Pour moi qui adore ce personnage
c'était Noël avant l'heure !
Bien
sûre c'est l'extrait que j'ai choisi.
L'anthologie
propose aussi des scènes coupées ? Je vous mets un court
extrait d'un scène que j'ai particulièrement apprécié
Bonne
dégustation !
La
vie en liberté, loin des barreaux coulissants et de la monotonie
qu'amène la routine, est si bizarre, si étrangère que je suis
persuadé d'être entré dans un autre monde. Dans une autre galaxie.
Ils m'avaient dit que ça se passerait comme ça. Ceux qui m'ont
emprisonné. Ils se sont rendu compte de leur erreur, dix ans après
les faits, et m'ont relâché, mais qu'ils aillent se faire foutre.
Dix ans, c'est une longue peine à purger pour quelque chose que je
n'avais pas fait. Avant que je sorte, ils m'ont averti que, vu mon
jeune âge lors de mon incarcération, je ne saurais pas naviguer
dans le monde réel. Les activités de tous les jours, comme régler
les factures et faire les courses, seraient de vrais défis. Sauf que
je n'ai besoin de rien. Etre le fils de l'ennemi public numéro un a
ses avantages. Je peux subsister en ayant uniquement de l'eau pendant
des mois. Je pourrais déménager en Antarctique et m'en tirer sans
manteau si j'en avais envie.
Mais
bon, elle ne se trouve pas en Antarctique. Et survivre dans le vrai
monde pourrait également se révéler un plus grand défi que je ne
l'avais pensé à la base. Je prends une douche dans un petit hôtel
miteux. Quand je m'enroule dans une serviette de bain, j'aperçois
mon reflet dans le miroir fendu au-dessus du lavabo et étudie les
écorchures d'un rouge foncé qui s'étendent de mon épaule droite à
ma hanche et recouvrent mon torse. Les entailles m'ont été
gracieusement offertes par un démon échappé de l'enfer. Il n'a
rien trouvé d'autre que sa propre mort, ici sur Terre, cependant la
bataille pour l'éliminer a été plus compliquée que ce à quoi je
m'attendais. Les blessures seront guéries dans quelques jours, mais
je n'ai pas envie qu'elle les voie. Ni celle-ci ni les autres. Je
suis déjà un monstre, pas besoin d'ajouter le fait que je suis
défiguré à mon C.V.
Je
regarde mes tatouages, ces motifs complexes faits de lignes et de
courbes. Un trait pris à part n'est rien d'autre qu'une marque noire
sur ma peau, mais toutes ces rayures réunies forment une carte, une
clé pour les portes de l'enfer - un cadeau de mon père - et, si je
les observe assez longtemps, je serai aspiré. Dans la mesure où je
viens d'être libéré d'une prison terrestre, la dernière chose
dont j'ai besoin est de retourner dans celle qui se trouve au royaume
des ténèbres. Et je ne pense pas que je serai assez fort pour
m'échapper de cet endroit une nouvelle fois. Je tourne la tête. Je
relève le menton. J'étudie mon visage. Mes yeux sont bruns. Je ne
leur ai jamais rien trouvé de spécial, mais d'autres, hommes comme
femmes, semblent les trouver particulièrement attirants, donc
j'essaie de ne pas établir de contact visuel quand je suis à
l'extérieur. Mais malgré ça, leurs regards décidés, leur
incapacité à se détourner, à respirer, est déconcertante, alors
je les aveugle. Juste quelques secondes. Juste le temps de les
dépasser. Ensuite, leurs yeux sont scotchés à mon dos. Chauds.
Pleins de convoitise. Me suppliant de m'arrêter. De me retourner.
Je
ne le fais jamais.
J'arrête
de reluquer ma forme humaine, si différente de ma forme inhumaine,
et quitte mon corps physique, me disant que je vais simplement
vérifier comment elle se porte. M'assurer qu'elle est en sécurité.
D'autres de mes anciens camarades errent là-dehors et il n'y a rien
dont ils aient plus envie que d'elle. Que de ce qu'elle est. Un
portail. Un passage qui mène droit au paradis.
Je
progresse au-dessus des rues d'Albuquerque, heureux que personne ne
puisse me voir. Comme ça, personne ne peut me désirer plus
ardemment que sa prochaine bouffée d'oxygène. Leur faim est
exténuante. Leur déception lorsque je les ignore palpable.
Je
traverse les murs de son appartement et sens son pouls s'accélérer.
Elle sait que je suis là. Comme je ne me suis pas encore
matérialisé, elle ne peut pas me voir. C'est une bonne chose, étant
donné ce à quoi je ressemble en ce moment. Elle est debout devant
son lavabo, entourée d'une serviette de bain. Ses longues jambes
s'en échappent comme une cascade de péché. Le tissu épouse sa
taille, m'offrant un aperçu de ses formes généreuses. Ses cheveux
retombent le long de son dos en sombres mèches alourdies par l'eau.
Elle détache son regard doré du mur à côté d'elle et balaie une
de ses fines épaules avant de le porter sur moi. Mais elle l'ignore,
aussi continue-t-elle à étudier les environs.
Je
ne peux m'en empêcher. Je m'approche d'elle et caresse sa bouche de
la mienne. J'ai le souffle coupé quand elle sort sa langue pour
s'humidifier les lèvres, lorsque ses doigts touchent ce bouton de
rose, le testant, l'explorant. Elle se mord la lèvre inférieure.
Croise les bras dans cette posture provocatrice qu'elle aime adopter
dès que je suis près d'elle.
— Tu
peux te montrer, tu sais.
Sa
voix caresse ma peau comme un vent rauque.
Elle
hausse un sourcil et continue à observer les alentours. Attendant.
Faisant semblant de ne pas espérer. Mais j'entends le sang battre
plus fort dans ses veines, ressens l'inondation de chaleur entre ses
cuisses. Son expression est plutôt agacée, mais son corps témoigne
du contraire. C'est une trahison digne d'une tragédie grecque.
— Je
suis toujours en colère contre toi, ajoute-t-elle.
Elle
s'appuie contre le lavabo, et je ne peux m'empêcher de me coller à
elle. Elle laisse échapper un hoquet de surprise et essaie de me
repousser, mais, pour elle, je ne suis rien de plus que de l'air
brûlant et épais. Je pourrais me matérialiser, mais je ne le ferai
pas. Pas maintenant. Quand je serai guéri,si je guéris.
Si j'en ai l'occasion. Il reste des démons, et ils la veulent. Ils
veulent la magnifique créature qui se tient devant moi. Elle attrape
les coins du lavabo et se délecte de la chaleur dans laquelle je
l'ai enveloppée. Elle penche la tête en arrière et je me penche
pour embrasser son cou. Elle gémit faiblement, m'encourageant,
m'incitant à me matérialiser pour m'enfouir en elle jusqu'à en
oublier mon nom.
Non.
Pas maintenant. Pas comme ça. Je serre les dents et recule. La
fraîcheur instantanée lui provoque la chair de poule. Elle
s'entoure de ses bras et frotte sa peau radieuse, puis fronce les
sourcils.
Lorsqu'elle
reprend la parole, sa voix a changé. Elle est plus douce, moins
assurée, et la douleur qui émane de sa poitrine me fait regretter
d'être passé.
— Tu
as trouvé ce pour quoi tu étais venu ? Tu as obtenu la
réaction que tu voulais ?
Dans
la mesure où sa réaction n'était pas de crier de plaisir pendant
qu'elle jouissait, frissonnante dans mes bras, non. Une prochaine
fois, peut-être.
Le
problème avec Charley, c'est qu'elle a volé mon cœur la première
fois que je l'ai vue, il y a plusieurs siècles. Son sourire
étincelait comme une étoile contre la soie de l'éternité. Tout
l'univers glissait dans sa direction, comme si chaque planète et
chaque astre ne désirait rien plus que de s'approcher d'elle. Je
savais exactement ce qu'elles ressentaient. Je comprenais les
profondeurs de sa force d'attraction bien avant qu'elle ne naisse sur
cette Terre. Dans ce monde. Un monde qui la méritait presque aussi
peu que moi.
Et
elle est là, devant moi. Le menton relevé. Ses yeux comme deux
immenses lacs d'or liquide.
— Maintenant
que tu as accompli ta mission, ça te dérangerait de foutre le
camp ? J'ai une affaire à résoudre.
Elle
se retourne en direction de son miroir et commence à se brosser les
cheveux. Je me demande si elle découvrira un jour qui est son vrai
père. À quel point ses ancêtres sont fabuleux. Chaque Faucheuse a
une famille, mais la sienne est une authentique famille royale. C'est
une princesse parmi les voleurs.
Non,
elle mérite bien mieux qu'un type comme moi.
Je
m'en vais. Réinvestis mon corps. Prends une profonde inspiration
tandis que je songe aux démons qui sont entrés dans cette dimension
pour s'en prendre à elle. Et, avec une énergie renouvelée, je pars
chasser.
A
la base, l'histoire devait se poursuivre dans le deuxième tome à
partir de ce moment, mais je voulais une fin plus heureuse et sans
effet de cliffhanger total. Curieusement, mon agent
était du même avis.
Contexte :
Charley est sur le point de se précipiter à Santa Fe pour s'assurer
que l'injonction contre l'Etat pour retirer Reyes de l'assistance
respiratoire était bien passée.
Après
avoir enfilé un sweat à capuche sombre et ramené mes cheveux en
queue-de-cheval, je me précipitai au bureau, là où se trouvaient
tous les numéros liés à l'affaire, que j'avais notés sur des
Post-it de toutes les couleurs. Je commençai par appeler Neil
Gossett à la prison, mais il était absent. J'essayai ensuite
l'établissement de soins prolongés, mais la réceptionniste me dit
qu'elle ne pouvait pas transmettre les données personnelles des
patients par téléphone. J'appelai alors oncle Bob, mais il était
au tribunal. Je continuai avec l'assistante du juge chez qui j'avais
demandé le mandat d'injonction, mais elle me répondit que la
requête était partie à la cour de justice de Santa Fe.
N'ayant
plus d'autre choix, je décidai de m'y rendre. La panique me gagnait.
Et si l'injonction n'était pas passée ? Que se passerait-il si
le juge avait refusé la requête ?
En
traversant le parking en direction de Misery, je pris conscience que
j'avais oublié mes clés chez moi. Je croisai Cookie dans
l'escalier, et je lui appris où je comptais aller. Elle marmonna
quelque chose au sujet d'une augmentation qu'elle aurait méritée,
mais je la dépassai et fonçai vers mon appartement.
Je
m'arrêtai net en découvrant Reyes. Il se tenait devant la fenêtre
et regardait au travers comme précédemment. Normalement, je sentais
tout de suite quand un défunt était dans les parages, mais c'était
différent avec lui. J'étais incapable de dire s'il était mort ou
non. Son teint n'avait pas changé, il était riche et vibrant.
L'avaient-ils débranché des appareils respiratoires ? Si je le
touchais, serait-il chaud ou froid ? Si son corps physique
mourait, j'ignorais s'il serait toujours Reyes, ou s'il deviendrait
comme n'importe quel autre défunt, glacé et légèrement
monochrome.
Il
ne se retourna pas lorsque je passai la porte. Je la refermai
doucement et m'avançai vers lui. Plus je m'approchais, plus il
semblait réel. Il portait une chemise que je n'avais encore jamais
vue, un jean et des boots. Le rythme de sa respiration était
constant, contrôlé. Je remarquai à cet instant qu'il était un peu
plus pâle que d'habitude, ce qui me rendit malade d'inquiétude. Se
pouvait-il qu'il soit vraiment mort ?
Lorsque
je fis un autre pas en avant, je compris que quelque chose n'allait
pas. Un film de transpiration recouvrait sa nuque. Tandis que je
contournais le canapé et m'approchais, je vis que l'avant de sa
chemise était imbibé de sang qui dégoulinait le long de la jambe
de son pantalon. Puis je me focalisai sur une de ses mains, sur le
couteau géant qu'il tenait, et je m'immobilisai aussitôt.
Incapable
de détacher mon regard de l'arme, je remarquai dans ma vision
périphérique que Reyes se tournait vers moi. Je pris mes jambes à
mon cou.
Je
courus vers la porte d'entrée. Je n'avais pas fait trois pas que
Reyes était déjà sur moi. Il me plaqua contre le mur et, avant que
j'aie le temps de réagir, la lame se trouva sous ma gorge. Il
s'immobilisa. Un calme incroyable m'enveloppa, me donnant la
possibilité de réfléchir avec une clarté absolue. Est-ce que ça
allait vraiment se terminer comme ça ? Etait-ce réellement la
fin ?
Reyes
avait passé une main autour de mon cou, verrouillant mon dos à son
torse, et la seconde tenait le couteau. Je connaissais plein de
tactiques d'autodéfense créées spécialement pour ce type de
situation, mais je savais également à quel point Reyes était fort
et incroyablement rapide. Cependant, il était humain, à présent.
Il était réel et solide, et il ne se trouvait pas dans un hôpital
à une heure de route. S'était-il échappé ? Était-ce comme
ça qu'il avait été blessé ?
Il
me retint un moment afin de s'assurer que je n'essayerais pas de
m'enfuir.
— Je
suis désolé d'avoir à faire ça.
Je
sursautai en sentant la pointe acérée du couteau déchirer ma peau,
la morsure envahissante du métal. Wow. Ça allait craindre à mort.
Reyes m'avait expliqué que je serais en mesure de lui échapper si
je savais ce dont j'étais capable. Je l'ignorais de toute évidence,
puisque je ne voyais pas comment me sortir de ce pétrin. Je ruai
contre son dos, mais il tint bon.
— Arrête
de te débattre, dit-il de manière agacée.
— Arrête
de me trancher la gorge, contrai-je, les dents serrées.
— Je
ne suis pas en train de le faire. Tu gigotes. Ça ne se produirait
pas si tu te tenais tranquille.
— C'est
toi qui as un couteau.
Il
grogna, me retourna afin que je me retrouve face à lui, puis enroula
une main autour de mon cou, me plaquant de nouveau contre le mur. La
lame était toujours dangereusement proche de ma jugulaire.
— Il
faut qu'on parte, dit-il, à moitié plié par la douleur.
Je
combattis mon instinct premier, qui me dictait de tendre le bras vers
lui, de lui offrir mon soutien. J'en avais fini d'aider les gens. Le
monde pouvait bien aller se faire voir, en ce qui me concernait.
— Je
n'irai nulle part avec toi, lançai-je, la colère rendant ma voix
tranchante. Toi et moi, c'est terminé.
Tout
en m'adressant un sourire désagréablement malicieux, il se pencha
jusqu'à ce que nos visages ne soient plus qu'à quelques centimètres
l'un de l'autre, jusqu'à ce que nos respirations se mélangent dans
l'air épais et tendu, puis demanda :
— Pourquoi
tu crois que j'ai apporté le couteau ?
La
rage prit possession de moi, me ramenant à la réalité.
— Tu
vas me forcer la main ? Pourquoi ?
II
plongea son regard dans le mien. Ses pupilles acajou étaient encore
plus brillantes qu'auparavant, les paillettes vertes et or étincelant
sous un voile de douleur. Puis il baissa les cils et répondit :
— Parce
qu'ils t'ont retrouvée.