—
Pourquoi
n’es-tu pas resté loup ? le gronda-t-elle.
Des
yeux froids se plantèrent dans les siens, plus loup qu’homme dans
leurs profondeurs jaunes.
—
Tu
allais partir. Le loup n’avait aucun autre moyen de te parler.
Il
avait supporté ça parce qu’il avait eu peur qu’elle le quitte ?
C’était romantique… et stupide.
Maltraitée et
constamment humiliée, Anna est une jeune louve qui considère que sa
vie est maudite depuis qu'elle a été Changée. Du moins elle le
pensait avant de rencontrer Charles Cornick, fils de l'Alpha des
Alphas d'Amérique.
Charles, né loup-garou il y a deux siècles, est un solitaire. Chargé de faire respecter les lois de leur monde, autrement dit exécuteur de talent de son père, il n'a jamais pu se lier avec qui que ce soit, hormis son frère et son père, par peur de devoir tuer un ami sur son ordre.
Pourtant, quand ils vont se rencontrer, ce sera le coup de foudre. Mais les mauvais traitements subis par Anna, sa peur viscérale des dominants, et le manque d'expérience en matière de relations humaines de Charles, vont rendre cette histoire touchante. D'autant qu'ils vont se trouver envoyés en mission dans des montagnes enneigées parce qu'un loup-garou sème le trouble près du havre de paix que le Marrock a établi.
Les personnages sont attachants car tous deux seuls et blessés dans leurs cœurs, ils vont voir en l'autre celui capable de panser ses blessures.
Entre maladresses et tendresse, ce premier tome d'Alpha et Oméga, démontre une fois de plus le talent de P. Briggs à manier les mots avec légèreté et enthousiasme. Certes le premier chapitre nous plonge dans l'ambiance de manière un peu brutale, mais passé ce choc, le reste est un régal pour les sens. En fermant les yeux, on se croirait au milieu des montagnes enneigées du Montana... Mais gare à la sorcière...
Charles, né loup-garou il y a deux siècles, est un solitaire. Chargé de faire respecter les lois de leur monde, autrement dit exécuteur de talent de son père, il n'a jamais pu se lier avec qui que ce soit, hormis son frère et son père, par peur de devoir tuer un ami sur son ordre.
Pourtant, quand ils vont se rencontrer, ce sera le coup de foudre. Mais les mauvais traitements subis par Anna, sa peur viscérale des dominants, et le manque d'expérience en matière de relations humaines de Charles, vont rendre cette histoire touchante. D'autant qu'ils vont se trouver envoyés en mission dans des montagnes enneigées parce qu'un loup-garou sème le trouble près du havre de paix que le Marrock a établi.
Les personnages sont attachants car tous deux seuls et blessés dans leurs cœurs, ils vont voir en l'autre celui capable de panser ses blessures.
Entre maladresses et tendresse, ce premier tome d'Alpha et Oméga, démontre une fois de plus le talent de P. Briggs à manier les mots avec légèreté et enthousiasme. Certes le premier chapitre nous plonge dans l'ambiance de manière un peu brutale, mais passé ce choc, le reste est un régal pour les sens. En fermant les yeux, on se croirait au milieu des montagnes enneigées du Montana... Mais gare à la sorcière...
— Je
suis désolée, dit-elle, baissant les yeux sur son regard jaune.
Désolée
d’être une gêne, désolée de ne pas être plus forte, plus
convenable, plus quelque chose.
Une
décharge de pouvoir embrasa la peau d’Anna et la poussa à dé-
tourner
le regard. Il était tombé sur le sol et commençait à redevenir
humain.
C’était
trop tôt, il était trop gravement blessé. En hâte, elle ferma la
porte d’entrée avec sa hanche, jeta son carton sur le sol et se
précipita à son côté.
— Qu’est-ce
que tu fais ? Arrête ça.
Mais
il avait déjà commencé, et elle n’osait pas le toucher. Changer
dans un sens ou dans l’autre était douloureux… et même un léger
contact pouvait lui faire subir une douleur atroce.
— Bon
sang, Charles !
Même
après trois ans de lycanthropie, elle n’aimait pas regarder la
transformation ; la sienne ou celle de quelqu’un d’autre. Il y
avait quelque chose d’horrible à voir les bras et les jambes de
quelqu’un se tordre et se courber… et il y avait ce moment qui
retournait l’estomac, quand il n’y avait ni fourrure ni peau pour
recouvrir les muscles et les os.
Charles
était différent. Il lui avait dit que, grâce à la magie de sa
mère ou au fait d’être né loup-garou, sa transformation était
plus rapide : cela rendait aussi le changement presque magnifique. La
première fois qu’elle l’avait vu se transformer, elle avait été
impressionnée.
Cette
fois, ce n’était pas la même chose. C’était aussi long et
aussi horrible que pour elle. Il avait oublié les bandages, et ils
n’étaient pas faits pour changer en même temps que lui. Elle
savait qu’ils finiraient par se dé-
chirer,
mais elle savait aussi qu’ils lui feraient mal avant cela.
Alors
elle se glissa le long du mur pour éviter de le toucher, puis courut
dans la cuisine. Elle ouvrit les tiroirs, cherchant frénétiquement
jusqu’à ce qu’elle trouve celui où il gardait les objets
aiguisés et pointus, dont une paire de ciseaux. Se disant qu’elle
risquait moins de le poignarder avec des ciseaux qu’avec un
couteau, elle les saisit et revint.
Elle
coupa pendant qu’il changeait, ignorant son grognement quand elle
força la lame sous le tissu trop serré. La pression supplémentaire
serait douloureuse, mais ce serait mieux qu’attendre que le tissu
finisse par se déchirer sous la tension.
La
vitesse de sa transformation ralentissait au fur et à mesure de sa
progression, au point qu’elle s’inquiéta qu’il reste coincé à
mi-chemin : elle avait fait des cauchemars où elle se voyait coincée
entre les deux formes. À la fin, il s’étendit en position fœtale
à ses pieds, complètement humain.
Elle
pensait qu’il en avait terminé, mais alors des vêtements se
formèrent sur son corps nu, recouvrant sa chair alors qu’il se
transformait.
Rien
de fantastique, juste un jean et un tee-shirt blanc, mais elle
n’avait jamais entendu dire qu’un loup-garou était capable de
faire ça. Ça, c’était de la magie !
Elle
ne savait pas ce qu’il pouvait accomplir. Elle ne savait pas
grand-chose de lui à part qu’il faisait battre son cœur plus fort
et repoussait son habituel état de demi-panique.
Elle
frissonna, puis se rendit compte qu’il faisait frais dans la
maison.
Il
avait sans doute baissé le chauffage quand il était parti à
Chicago. Elle regarda autour d’elle et trouva un petit châle épais
plié sur le dossier d’un fauteuil à bascule et l’attrapa.
Attentive à ne pas frôler trop fort sa peau sensible, elle déposa
doucement la couverture sur lui.
Il
était allongé, une joue sur le sol, frissonnant et haletant.
— Charles
?
Son
premier réflexe fut de le toucher mais, après une transformation,
elle n’avait vraiment pas envie qu’on la touche. Sa peau était
neuve et à vif.
La
couverture glissa de ses épaules et quand elle la souleva pour le
recouvrir, elle vit une tache sombre s’étendre rapidement sur le
dos de son tee-shirt. Si ses blessures avaient été normales, la
transformation l’aurait mieux soigné. Les blessures infligées par
l’argent guérissaient beaucoup plus lentement.
— Est-ce
que tu as une trousse de secours ? demanda-t-elle.
La
trousse de secours de sa meute permettait de soigner les coups reçus
dans les combats mineurs qui éclataient chaque fois que la meute
entière était réunie. Impossible de croire que Charles n’était
pas aussi bien préparé que sa… que la meute de Chicago.
— La
salle de bains.
Sa
voix était aussi rêche que du papier de verre sous l’effet de la
douleur.
La
salle de bains était derrière la première porte qu’elle ouvrit,
une grande pièce avec une baignoire aux pieds griffus, une grande
cabine de douche et un évier en porcelaine sur pied. Dans un coin se
trouvait une ar-moire sèche-linge. Sur l’étagère du bas, elle
trouva une trousse de secours de taille industrielle, et la rapporta
dans le salon.
La
peau habituellement brun foncé de Charles était grise, ses mâ-
choires
étaient serrées de douleur, et ses yeux noirs brillaient de fièvre,
scintillant de taches dorées qui allaient bien avec le clou qu’il
portait à l’oreille. Il s’était assis bien droit, la couverture
étalée sur le sol autour de lui.
— C’était
stupide. Changer n’aide pas les blessures à l’argent, le
gronda-t-elle, sa soudaine colère nourrie par la douleur qu’il
s’était infligée.
Tout
ce que tu as réussi à faire c’est utiliser toute l’énergie
dont ton corps a besoin pour guérir. Laisse-moi te panser, et je te
trouverai quelque chose à manger.
Elle
avait faim, elle aussi.
Il
lui sourit, juste un petit sourire. Puis il ferma les yeux.
— Très
bien.
Sa
voix était rauque.
Elle
allait devoir retirer la plupart des vêtements qu’il avait
enfilés.
— D’où
viennent tes vêtements ?
Elle
aurait supposé que c’était ceux qu’il portait quand il s’était
changé d’humain en loup, sauf qu’elle avait aidé à le
déshabiller pour que le docteur de Chicago puisse l’examiner. Il
ne portait rien d’autre que des bandages quand il avait pris sa
forme de loup.
Il
secoua la tête.
— De
quelque part. Je ne sais pas.
Le
jean était un Levi’s, usé au genou, et le tee-shirt portait une
étiquette Hanes. Elle se demanda si quelqu’un quelque part se
retrouvait soudain à déambuler en sous-vêtements.
— Formidable
! dit-elle tandis qu’elle remontait avec précaution son tee-shirt
pour pouvoir regarder la blessure de sa poitrine. Mais ça aurait été
plus facile si tu ne t’étais pas habillé.
— Désolé,
grogna-t-il. L’habitude.
Une
balle avait transpercé sa poitrine juste à droite de son sternum.
Le trou dans le dos était pire, plus grand que celui de devant. S’il
avait été humain, il serait toujours aux urgences, mais les
loups-garous étaient des durs à cuire.
— Si
tu mets un pansement stérile sur le devant, lui dit-il, je peux le
tenir pour toi. Tu devras tenir celui du dos. Puis envelopper le tout
dans une bande vétérinaire.
— Une
bande vétérinaire ?
— Le
truc coloré qui ressemble à de la gaze. Il va se coller à
lui-même, donc tu n’auras pas besoin de l’attacher. Tu devras
sans doute utiliser deux pansements pour couvrir toute la surface.
Elle
découpa son tee-shirt avec les ciseaux qu’elle avait trouvés dans
la cuisine. Puis elle déchira l’emballage des pansements stériles
et en posa un sur la petite ouverture de sa poitrine et essaya de ne
pas penser au trou qui le traversait de part en part. Il appuya sur
le pansement plus fortement qu’elle l’aurait osé.
Elle
fouilla dans la trousse, cherchant la bande de contention, et trouva
une douzaine de rouleaux au fond. La plupart étaient marron ou
noirs, mais il y en avait quelques autres. Parce qu’elle lui en
voulait de s’être blessé encore plus, alors qu’il aurait pu
rester sous sa forme de loup pendant quelques jours, elle saisit une
paire de rouleaux rose fluo.
Il
rit quand elle les sortit, mais cela dut lui faire mal : sa bouche
s’étré-
cit,
et il haleta pendant un moment.
— Mon
frère les a mises là, dit-il quand le pire fut passé.
— Tu
as fait quelque chose pour l’embêter, lui aussi ? demanda-t-elle.
Il
grimaça un sourire.
— Il
a prétendu que c’était tout ce qu’il avait dans son bureau
quand j’ai fait le plein.
Elle
était prête à lui poser quelques questions supplémentaires à
propos de son frère, mais tout désir de le taquiner mourut quand
elle regarda son dos. Pendant les quelques minutes qu’elle avait
passées à se préparer pour le soigner, le sang s’était répandu
jusqu’au bord de son jean. Elle aurait dû laisser son tee-shirt
tranquille jusqu’à ce que tout soit prêt.
— Tarditas
et procrastinatio odiosa est,
dit-elle pour elle-même avant de découper un paquet de pansements.
— Tu
parles latin ? lui demanda-t-il.
— Non,
je me contente de le citer beaucoup. C’est censé être du Cicé-
ron,
mais ton père dit que ma prononciation est mauvaise. Tu veux la
tra-duction ?
L’éraflure
causée par la première balle, celle qu’il avait prise en la
protégeant, faisait une diagonale rouge et enflée au-dessus de la
blessure plus grave. Ça allait lui faire mal un moment, mais ce
n’était pas important.
— Je
ne parle pas latin, dit-il. Mais je connais un peu de français et
d’espagnol. La procrastination, ça craint ?
— C’est
ce que c’est censé vouloir dire.
Elle
avait déjà aggravé les choses ; il devait voir un médecin pour
cette plaie-là.
— Tout
va bien, dit-il en réponse à la tension de sa voix. Colmate juste
la fuite.
Avec
difficulté, elle ne se concentra que sur ça. Elle rassembla les
cheveux trempés de sueur qui arrivaient à la taille de Charles, et
les poussa par-dessus son épaule.
Il
n’y avait pas de pansement stérile assez grand pour la blessure de
son dos, alors elle en prit deux et les maintint d’une judicieuse
pression du genou pendant qu’elle faisait le tour de son torse avec
la bande vétérinaire.
Il
tint l’extrémité pour elle sans qu’elle le lui demande, et la
maintint contre ses côtes. Elle utilisa cet ancrage pour enrouler le
reste autour de lui une première fois.
Elle
lui faisait mal. Il avait presque cessé de respirer, hormis de
petites inspirations superficielles. Donner les premiers soins à un
loup-garou était dangereux. La douleur pouvait faire perdre le
contrôle à un loup, comme cela s’était produit ce matin. Mais
Charles se tenait très tranquille tandis qu’elle serrait
suffisamment le bandage pour maintenir les pansements à leur place.
Elle
utilisa les deux rouleaux et essaya de ne pas remarquer combien le
rose éclatant allait bien avec sa peau sombre. Alors qu’un homme
était sur le point de perdre connaissance à cause de la douleur, ça
ne lui semblait pas correct de s’attarder sur sa beauté. Les
muscles et les os tendaient sa peau douce et sombre… peut-être que
s’il n’avait pas senti aussi bon sous l’odeur de sang et de
sueur elle aurait pu garder ses distances.
Sien.
Il était sien, murmura la part d’elle-même qui ne se souciait pas
des problèmes humains. Quelles que soient les peurs d’Anna au
sujet des changements rapides dans sa vie, sa moitié louve était
très heureuse des événements de ces derniers jours.
Elle
attrapa un torchon dans la cuisine, l’humidifia, et nettoya le sang
de sa peau pendant qu’il se remettait de ses efforts maladroits de
premiers soins.
— Il
y a du sang sur ta jambe de pantalon aussi, lui dit-elle. Tu dois
retirer ton jean. Est-ce que tu peux le retirer par magie comme tu
l’as enfilé ?
Il
secoua la tête.
— Pas
maintenant. Même pas pour frimer.
Elle
mesura l’ampleur de la difficulté à retirer un jean et s’empara
des ciseaux qu’elle avait utilisés sur le tee-shirt. C’étaient
de bons ciseaux acé-
rés
et elle put découper le denim rigide aussi facilement que le
tee-shirt, ne laissant à Charles qu’un boxer vert foncé.
— J’espère
que tu as un bon revêtement de sol, murmura-t-elle pour s’aider à
se distancier de la blessure. Ce serait une honte de le tacher.
Le
sang s’était répandu sur les motifs sophistiqués du sol.
Heureusement, les tapis persans étaient trop loin pour être en
danger.
La
seconde balle avait traversé le mollet. La blessure avait plus
mauvaise mine que la veille, plus enflée et plus irritée.
— Le
sang ne l’abîmera pas, répondit-il comme s’il saignait sur le
sol tout le temps. On lui a appliqué quatre couches de polyuréthane
l’année dernière. Ça ira très bien.
Il
n’y avait plus de bandages roses dans la trousse, alors, pour la
jambe, elle choisit la couleur la plus discordante, un vert
chartreuse. Comme le rose, la teinte éclatante lui allait bien. Elle
utilisa tout le rouleau et une autre paire de pansements stériles
pour empêcher le bandage de coller.
Quand
elle en eut fini avec lui, le châle, les vêtements et le sol
étaient couverts de sang. Ses propres vêtements ne s’en étaient
pas très bien tirés non plus.
— Veux-tu
que je te mette au lit avant de ranger ce bazar, ou préfères-tu
avoir quelques minutes pour te remettre ?
— J’attendrai,
dit-il.
Ses
yeux noirs étaient passés au jaune loup pendant qu’elle
s’affairait.
Malgré
la crise de rage du matin qui avait effrayé les loups de Chicago,
son contrôle devait être excellent pour lui permettre de se tenir
tranquille à côté d’elle, mais ce n’était pas une raison pour
le bousculer.
— Où
est ta buanderie ? demanda-t-elle en saisissant des vêtements de
rechange dans sa boîte.
— En
bas.
Il
lui fallut une minute pour trouver comment s’y rendre. Elle finit
par ouvrir une porte dans le mur étroit entre la cuisine et la salle
à manger, qu’elle avait prise pour un placard, et y découvrit
l’escalier. La buanderie était située dans un coin du sous-sol à
moitié terminé ; le reste du sous-sol était une salle de
musculation à l’équipement impressionnant.
Elle
jeta les restes des bandages et des vêtements inutilisables dans la
poubelle à côté du lave-linge. Il y avait un évier dans la
buanderie ; elle le remplit d’eau froide et y mit ce qui était
récupérable. Elle laissa tremper le tout quelques minutes pendant
qu’elle enfilait des vêtements propres, et se débarrassa aussi de
son tee-shirt et de son jean maculés de sang dans l’évier. Elle
trouva un seau de vingt litres rempli de chiffons propres et pliés à
côté du sèche-linge, et en prit quelques-uns pour nettoyer le sol.
Il
ne réagit pas à son retour ; il avait les yeux fermés et le visage
serein.
Il
aurait dû paraître idiot, assis dans ses sous-vêtements tachés de
sang, enveloppé de bandages roses et verts, mais il était
simplement lui-même.
Le
sol était aussi facile à nettoyer qu’il l’avait promis. Après
un dernier passage, elle se leva pour repartir au sous-sol avec ses
chiffons ensanglantés, mais Charles lui saisit la cheville de sa
grande main, et elle s’arrêta net, se demandant s’il avait fini
par perdre le contrôle.
— Merci,
dit-il d’un ton plutôt civilisé.
— Je
te dirais bien « de rien » mais, si tu me forces à te panser
souvent, je vais devoir te tuer, lui dit-elle.
Il
sourit, les yeux toujours fermés.
— J’essaierai
de ne pas saigner plus que nécessaire, promit-il, la laissant
retourner à ses tâches.
Une
fois que le lave-linge eut commencé à s’agiter en bas, elle
entre-prit de sortir des burritos surgelés du congélateur. Si elle
avait faim, lui devait être affamé.
Elle
ne trouva pas de café, mais il y avait du chocolat instantané et
une grande variété de thés. Elle décida qu’il avait besoin de
sucre, et mit de l’eau à bouillir pour un chocolat.
Quand
tout fut prêt, elle emporta une assiette et une tasse de chocolat
dans le salon et les posa sur le sol devant Charles. Il n’ouvrit
pas les yeux et ne bougea pas, aussi le laissa-t-elle seul.
Elle
fouilla la maison jusqu’à trouver sa chambre. Ce n’était pas
difficile. Malgré tout le luxe de ses meubles et de sa décoration,
ce n’était pas une maison immense. Il n’y avait qu’une seule
chambre avec un lit.
Cela
lui fit faire une petite pause déplaisante.
Elle
tira les couvertures. Au moins, elle n’aurait pas à gérer les
problèmes de sexe pendant encore quelques jours. Il n’était pas
vraiment en forme pour faire de la gymnastique dans l’immédiat. Sa
condition de louve-garou lui avait appris – entre autres choses –
à oublier le passé, à vivre dans le présent et à ne pas trop
penser au futur. Ça marchait, tant que le présent était
supportable.
Elle
était fatiguée, fatiguée et pas du tout à sa place. Elle fit ce
qu’elle avait appris à faire ces dernières années, et puisa dans
sa force de louve.
Pas
assez pour qu’un autre loup le sente, et elle savait que, si elle
se regardait dans un miroir, elle serait face à ses propres yeux
bruns. Mais, sous sa peau, elle pouvait sentir cet autre.
La louve lui avait permis de traverser des épreuves auxquelles sa
moitié humaine n’aurait pas survécu. Pour l’instant, cela lui
donnait plus de force et l’isolait de ses angoisses.
Elle
lissa de la main les draps vert sapin – Charles semblait apprécier
le vert – et retourna dans le salon.
Il
était toujours assis, mais il avait ouvert les yeux, et le chocolat
et les burritos qu’elle lui avait laissés avaient entièrement
disparu ; tout cela était bon signe. Mais il avait toujours les yeux
dans le vague, le teint plus pâle qu’il aurait dû, et le visage
profondément marqué par la tension.
— Allons
te mettre au lit, lui dit-elle, en sûreté dans le couloir.
Mieux
valait ne pas surprendre un loup-garou blessé, même un loup sous
forme humaine qui avait du mal à tenir assis tout seul.
Elle
aurait pu le prendre dans ses bras et le porter si besoin, mais cela
aurait été étrange, et elle lui aurait fait mal. À la place, elle
passa son épaule sous son bras et le soutint pendant tout le trajet
jusqu’à la chambre.
Si
près de lui, il était impossible de ne pas répondre à l’odeur
de sa peau. Il sentait le mâle et le compagnon. Cette odeur l’aida
à accepter la certitude de sa louve d’avoir trouvé un compagnon.
Elle s’y plongea, et accueillit la satisfaction de la bête.
Il
n’émit pas un son pendant tout le trajet jusqu’à son lit, même
si elle pouvait sentir l’étendue de sa douleur à la tension de
ses muscles. Il était chaud et fiévreux, et cela l’inquiéta.
Elle n’avait jamais vu de loup-garou fiévreux avant.
Il
s’assit sur le matelas avec un sifflement. Le sang qui restait sur
l’élastique de son boxer allait tacher les draps, mais elle
n’était pas assez à l’aise pour le lui faire remarquer. Il
avait l’air sur le point de s’évanouir ; il avait été en bien
meilleure forme avant de décider de se transformer en humain. Étant
donné son expérience, il aurait dû se méfier.
— Pourquoi
n’es-tu pas resté loup ? le gronda-t-elle.
Des
yeux froids se plantèrent dans les siens, plus loup qu’homme dans
leurs profondeurs jaunes.
— Tu
allais partir. Le loup n’avait aucun autre moyen de te parler.
Il
avait supporté ça parce qu’il avait eu peur qu’elle le quitte ?
C’était romantique… et stupide.
Elle
roula des yeux d’exaspération.
— Et
où serais-je allée au juste ? Et qu’est-ce que ça aurait bien pu
te faire si tu avais réussi à saigner à mort ?
Il
baissa les yeux délibérément.
Que
ce loup, cet homme si dominant que même les humains s’éloignaient
quand il passait à côté d’eux, lui donne l’avantage, lui coupa
le souffle.
— Mon
père t’aurait emmenée là où tu aurais voulu aller, lui dit-il
doucement. J’étais presque sûr que je pouvais te persuader de
rester en parlant, mais j’ai sous-estimé à quel point j’étais
mal en point.
— C’est
stupide, dit-elle avec aigreur.
Il
leva les yeux vers elle, et ce qu’il vit sur son visage le fit
sourire, même si sa voix était sérieuse quand il répondit à son
attaque.
— Oui.
Tu me fais perdre mon bon sens.
Il
commença à s’allonger dans le lit ; elle passa rapidement un bras
autour de lui, juste au-dessus du bandage, et l’aida à s’installer
doucement sur le matelas.
— Tu
préfères t’allonger sur le côté ?
Il
secoua la tête et se mordit la lèvre. Elle savait d’expérience à
quel point être allongé sur le dos pouvait faire mal quand on était
sévèrement blessé.
— Il
y a quelqu’un que je peux appeler pour toi ? demanda-t-elle. Un
docteur ? Ton père ?
— Non.
J’irai mieux après un peu de sommeil.
Elle
lui jeta un regard sceptique.
— Est-ce
qu’ il y
a un
docteur dans le coin ? Ou du personnel soignant qui saurait mieux
faire que moi ? Comme, par exemple, un boy-scout de dix ans ?
Il
lui fit un bref sourire, qui réchauffa sa beauté austère au point
de serrer le cœur d’Anna.
— Mon
frère est docteur, mais il est probablement toujours dans l’État
de Washington. (Il hésita.) Peut-être pas, en fait. Il sera
probablement de retour pour l’enterrement.
— L’enterrement
?
L’enterrement
de l’ami de Bran, se rappela-t-elle, la raison pour laquelle Bran
n’avait pas pu rester plus longtemps à Chicago.
— Demain,
répondit-il, même si ce n’était pas ce qu’elle avait voulu
dire.
Comme
elle n’était pas sûre de vouloir en savoir plus sur qui était
mort et pourquoi, elle ne posa pas d’autre question. Il se fit
silencieux, et elle pensa qu’il dormait jusqu’à ce qu’il
recommence à parler.
— Anna,
ne fais pas confiance trop facilement.
— Quoi
?
Elle
posa la main sur son front, mais il n’était pas plus chaud.
— Si
tu décides d’accepter l’offre de mon père de partir,
rappelle-toi qu’il agit rarement pour des motivations simples. Il
ne serait pas aussi vieux, ne serait pas aussi puissant qu’il
l’est, s’il était un homme simple.
(Il
ouvrit ses yeux dorés et soutint son regard.) C’est un homme bon.
Mais il est fermement ancré à la réalité, et sa réalité lui dit
qu’un Omega pourrait signifier qu’il n’aura plus jamais à tuer
un autre ami.
— Comme
celui dont c’est l’enterrement demain ? dit-elle.
Oui,
c’était le sous-entendu qu’elle avait senti.
Il
acquiesça une fois, farouchement.
— Tu
n’aurais pas pu l’aider avec celui-ci, personne ne l’aurait pu.
Peut-être
le prochain…
— Ton
père ne veut pas vraiment me
laisser partir ?
Était-elle
prisonnière ?
Il
remarqua son anxiété.
— Ce
n’est pas ce que je voulais dire. Il ne ment pas. Il t’a dit
qu’il y réfléchirait si tu voulais partir et c’est ce qu’il
fera. Il essaiera de te faire accepter d’aller là où il aura le
plus besoin de toi, mais il ne te gardera pas contre ta volonté.
Anna
le regarda, et la louve en elle se détendit.
— Tu
ne me garderais pas non plus ici si je ne le voulais pas.
Ses
mains bougèrent à une vitesse stupéfiante, saisissant ses poignets
avant qu’elle puisse réagir. Ses yeux passèrent du doré bruni à
l’ambre brillant du loup.
— N’y
compte pas, Anna. N’y compte pas, dit-il d’une voix enrouée Elle
aurait dû avoir peur. Il était plus grand et plus fort qu’elle,
et la vitesse de son geste était calculée pour lui faire peur…
même si elle n’était pas certaine de comprendre pourquoi il
pensait devoir le faire à moins de vouloir être sûr qu’elle
comprenne. Mais, avec la louve qui avait pris l’ascendant, elle ne
pouvait pas avoir peur de lui : il était sien et ne la blesserait
pas, pas plus qu’elle ne lui ferait volontairement du mal.
Elle
se pencha en avant, posant son front contre le sien.
— Je
te connais, lui dit-elle. Tu ne peux pas me tromper.
Cette
conviction la rassura. Elle ne le connaissait peut-être que depuis
très peu de temps – vraiment très peu – mais en un sens elle le
connaissait mieux qu’il se connaissait lui-même.
À
sa surprise, il éclata de rire ; un souffle calme qui, elle
l’espérait, ne lui fit pas trop mal.
— Comment
Leo a-t-il réussi à te tromper au point que tu te comportes comme
une louve soumise ?
Tous
ces coups, toutes ces relations non consenties avec des hommes dont
elle ne voulait pas… elle baissa les yeux sur les cicatrices sur
ses poignets, que Charles tenait toujours. Elle avait utilisé un
couteau en argent et, si elle n’avait pas été aussi impatiente,
si elle avait attendu d’être seule chez elle, elle serait morte.
Leo
avait essayé de la briser parce qu’elle n’était pas soumise,
parce qu’elle était quelque chose d’entièrement différent. Il
n’avait pas voulu qu’elle le sache. Elle était hors de la
structure de la meute, lui avait dit Charles. Ni dominante ni
soumise. Omega. Quoique ça signifie.
Charles
lâcha rapidement ses poignets et posa ses mains des deux côtés de
son visage. Il l’éloigna de lui pour pouvoir la regarder.
— Anna
? Anna, je suis désolé. Je ne voulais pas…
— Ce
n’était pas toi, lui dit-elle. Je vais bien. (Elle le regarda
fixement et remarqua qu’il avait l’air encore plus fatigué
qu’avant.) Tu as besoin de dormir.
Il
la regarda d’un air pénétrant, puis hocha la tête et la relâcha.
— Il
y a une télé dans la salle à manger. Ou alors, tu peux utiliser
Internet sur l’ordinateur de mon bureau. Il y a…
— Je
suis fatiguée, moi aussi.
Elle
avait peut-être été conditionnée à marcher la queue entre les
jambes, mais elle n’était pas stupide. Dormir était ce dont son
esprit épuisé avait besoin pour essayer de gérer les brusques
changements de sa vie.
Échanger
Chicago pour la nature sauvage du Montana était le moindre de tous :
Omega et appréciée, non pas soumise et sans valeur ; un compagnon
et tout ce qui allait avec. Mieux que tout ce qu’elle avait eu, à
coup sûr, mais c’était encore un peu traumatisant.
— Ça
t’ennuie si je dors ici ?
Elle
avait pris une voix timide, elle ne voulait pas être une intruse là
où on ne voulait pas d’elle. C’était son territoire à lui ;
mais sa louve répugnait à le laisser seul et blessé.
C’était
étrange, ce besoin. Étrange et dangereux, comme si ce qu’il était
pouvait l’atteindre et l’avaler tout entière ou la changer au
point qu’elle ne se reconnaisse plus. Mais elle était trop
fatiguée pour le combattre ou ne serait-ce que déterminer si elle
avait envie de le combattre ou non.
— Je
t’en prie, dit-il, et ce fut suffisant.
Elle
avait raison, songea-t-il. Il avait besoin de dormir.
Après
être revenue de la salle de bains dans une chemise de flanelle usée
jusqu’à la corde et un pantalon de pyjama délavé, elle s’était
roulée en boule à côté de lui et s’était endormie tout de
suite. Il était épuisé, lui aussi, mais il découvrit qu’il ne
voulait pas perdre le moindre moment passé à l’avoir dans ses
bras, son cadeau inespéré.
Il
ignorait ce qu’elle pensait de lui. Avant de se faire tirer dessus,
il avait prévu de prendre un peu plus de temps pour lui faire la
cour. Ainsi, elle aurait eu plus confiance en lui avant qu’il
l’entraîne hors de son territoire.
L’expression
de son visage quand elle était entrée chez lui… Elle émit un
bruit et il relâcha ses bras. Il avait aggravé ses blessures avec
ce changement, et il guérirait plus lentement sous forme humaine
mais, s’il l’avait perdue, il suspectait qu’il ne s’en serait
jamais remis.
Elle
était forte pour avoir survécu au traitement de Leo et s’en être
sortie entière. Peu importait ce qu’elle disait à propos de son
manque d’options, il savait que, s’il ne l’avait pas perturbée,
elle se serait enfuie loin de lui. La fatigue qu’il ressentait à
présent et la douleur du changement en valaient la peine. Il avait
attendu longtemps avant de la trouver, et il n’allait pas courir le
risque de la perdre.
C’était
étrange d’avoir une femme dans ce lit et en même temps il lui
semblait qu’elle avait toujours été là. Sienne. Sa main était
posée sur sa poitrine, mais il ignorait la douleur, au profit d’un
mal plus intense qui le rendait heureux.
Sienne.