Charles se pencha brusquement en avant, renversant sa chaise alors qu'il la soulevait de la sienne et la mettait sur ses pieds. Elle avait cru être habituée à la vitesse et à la force des loups, mais il lui avait coupé la respiration.
Comme elle se tenait immobile, sous le choc, il lui tourna autour jusqu'à lui faire face et il l'embrassa. Un baiser long, passionné, puissant, qui la laissa hors d'haleine, mais pour une tout autre raison.
Anna est un
loup-garou depuis trois longues années. Brutalisée par sa meute,
éloignée de sa famille, elle survit dans un monde qu'elle subit.
Intriguée par un article de journal, et se questionnant sur les
agissements de sa meute, elle prend la décision d'alerter le Marrok,
le chef de tous les loups d'Amérique. Elle se retrouve, un peu
malgré elle, à s'occuper de l'enquêteur envoyé par le Marrok, son
propre fils, Charles. Enquêteur, ou exécuteur ? Alors que
Charles cherche à en savoir plus sur la meute de Chicago, il va se
retrouver face à un problème tout aussi insoluble... ... Anna est
une Omega.
Elle
allait lui poser une autre question, mais la porte de son appartement
s'ouvrit à la volée et heurta le mur, laissant apparaître Justin.
Elle
avait été si absorbée par les propos de Charles qu'elle ne
l'avait pas entendu monter l'escalier. Elle avait oublié de
verrouiller la porte après le départ de Kara. Non que cela lui
aurait été utile. Justin avait la clé de son appartement.
Elle
ne put s'empêcher de tressaillir lorsqu'il franchit le seuil à
grandes enjambées comme s'il était chez lui.
— C'est
jour de paie, dit-il. Tu me dois un chèque. (Il regarda Charles.) Il
est temps pour toi de partir. La dame et moi avons à faire.
Anna
ne pouvait pas croire que quelqu'un puisse prendre ce ton avec
Charles, même Justin. Elle l'observa pour jauger sa réaction et
comprit pourquoi Justin s'était laissé prendre.
Charles
jouait avec son assiette, les yeux rivés sur ses mains. Son
impressionnante force de caractère avait été enfermée et
refoulée, elle ne se manifestait pas.
—Je
ne pense pas que je devrais partir, murmura-t-il, les yeux toujours
baissés. Elle pourrait avoir besoin de mon aide. Justin retroussa
les lèvres.
—Où
t'es allée ramasser celui-là, pétasse ? Tu verras quand Léo
apprendra que tu as recueilli un vagabond sans lui en parler.
Il
traversa la pièce et la saisit par les cheveux. Il la força ainsi à
se lever puis à se mettre contre le mur, la poussant avec ses
hanches dans un mouvement à la fois sexuel et violent. Il pencha son
visage vers le sien.
—Attends
un peu. Peut-être qu'il décidera de me laisser te punir encore. Ça
me plairait bien.
Elle
se rappela la dernière fois où il avait été autorisé à la punir
et ne put réprimer sa réaction. Il jouissait de sa panique et se
tenait suffisamment près pour qu'elle puisse le sentir.
—Je
ne pense pas que ce soit elle qui sera punie, dit Charles, d'une voix
toujours douce.
Anna
eut l'air de se détendre. Charles ne laisserait pas Justin lui faire
du mal.
Elle
n'aurait pas pu dire pourquoi elle le savait... elle découvrirait
certainement que ce n'était pas parce qu'un loup ne la blessait pas
qu'il la protégerait des autres.
— J’n’ai
pas dit que tu pouvais parler, gronda Justin, détournant la tête
pour jeter un regard furieux à l'autre homme. Je m'occuperai de toi
quand j'en aurai fini avec elle.
Les
pieds de la chaise de Charles crissèrent sur le parquet quand il se
leva. Anna l'entendait s'essuyer les mains.
—Je
pense que tu en as fini avec elle, dit-il d'une voix complètement
différente. Lâche-la.
Elle
sentit le pouvoir de ces mots traverser ses os et réchauffer son
estomac glacé de peur. Justin aimait encore plus la torturer qu'il
ne désirait son corps. Elle l'avait combattu jusqu'à comprendre
qu'il en tirait bien plus de plaisir. Elle avait rapidement appris
qu'elle n'avait aucun moyen de gagner contre lui. Il était plus fort
et plus rapide, et la seule fois où elle lui avait échappé, le
reste de la meute l'avait retenue pour lui.
En
entendant les paroles de Charles, pourtant, Justin la lâcha si vite
qu'elle tituba. Mais cela ne l'empêcha pas de s'éloigner autant que
possible, c'est-à-dire de se réfugier dans le coin cuisine. Elle
saisit le rouleau à pâtisserie de sa grand-mère sur le plan de
travail et le brandit.
Justin
lui tournait le dos mais Charles vit son arme et, brièvement, ses
yeux s'illuminèrent. Puis il reporta son attention sur Justin.
— Qui
es-tu ? Cracha Justin, mais Anna entendit la peur derrière la
colère.
—Je
pourrais te retourner la question, dit Charles. J'ai une liste de
tous les loups-garous des meutes de Chicago, et ton nom n'y apparaît
pas. Mais ce n'est qu'une partie de ce que j'ai à faire ici.
Rentre
chez toi et dis à Léo que Charles Cornick est venu pour lui parler.
Je le rencontrerai chez lui ce soir à 19 heures. Il a le droit de
venir avec les six premiers de la meute et sa compagne, les autres
n'ont pas à s'en mêler.
A
la surprise d'Anna, Justin grogna une fois et se retira sans
insister.
—Très
bien. Tu aurais dû laisser tomber mais tu veux la vérité. (Sa voix
gronda comme le tonnerre, même si elle n'était pas très forte.)
Frère Loup t'a choisie comme compagne. Si tu ne signifiais rien pour
moi, je n'aurais jamais toléré les sévices majeurs que tu as
endurés depuis ton Changement. Mais tu es mienne, et l'idée que tu
sois blessée, impuissante face à tout cela, suscite une colère que
même un Oméga ne peut apaiser facilement.
Eh
bien, songea-t-elle, ahurie. Elle avait remarqué qu'il
l'appréciait, mais elle avait pensé qu'il ne s'agissait que d'un
intérêt humain. Le seul loup avec une compagne qu’elle n’ait
jamais vu était Léo. Elle ne connaissait pas les règles.
Que
voulait-il dire en déclarant que son loup avait décidé qu'elle
était sa compagne ? Avait-elle le choix dans cette histoire ? Est-ce
que ses émotions - l'excitation, l'impression de le connaître
depuis toujours et le désir de se réveiller auprès de lui pour le
restant de ses jours, alors qu'elle le côtoyait depuis quelques
heures à peine - lui venaient de lui ?
— Si
tu m'avais laissé faire, dit-il, je t'aurais courtisée en douceur
et j'aurais gagné ton cœur. (Il ferma les yeux.) Je n'avais pas
l'intention de t'effrayer.
Elle
aurait dû être effrayée. Au lieu de quoi, elle se sentit soudain
très, très calme, comme si elle était dans l'œil d'un ouragan
d'émotions.
—Je
n'aime pas le sexe, lui dit-elle parce que, au vu des circonstances,
il lui semblait nécessaire qu'il le sache. (Il s'étrangla et ouvrit
les yeux, leur couleur éclatante remplaçant celle de ses sombres
yeux humains.) Je n'aimais pas trop ça avant le Changement déjà,
lui avoua-t-elle. Et après avoir été passée de main en main comme
une putain pendant un an, jusqu'à ce qu'Isabelle y mette un terme,
j'aime encore moins ça. (Sa bouche se contracta mais il ne dit rien,
alors elle poursuivit.) Et je n'y serai pas contrainte. Plus jamais.
Elle
releva les manches de sa chemise pour lui montrer les longues
cicatrices à l'intérieur de son bras, qui couraient de ses poignets
à ses coudes. Elle les avait faites avec un couteau en argent, et si
Isabelle ne l'avait pas découverte, elle se serait tuée.
— C'est
la raison pour laquelle Léo ne me force plus à coucher avec les
mâles qu'il veut récompenser. Isabelle l'y a contraint. C'est elle
qui m'a trouvée et gardée en vie. Après ça, j'ai acheté un
pistolet et des balles d'argent. (Il gronda doucement mais pas contre
elle, elle en était presque sûre.) Je ne suis pas en train de
menacer de me tuer. Mais il faut que tu le saches, parce que
— si
tu veux être mon compagnon — je ne serai pas comme Léo. Je ne te
permettrai pas de coucher avec quelqu'un d'autre. Et je ne serai pas
non plus forcée. J'en ai assez. Si ça fait de moi le chien dans le
garde-manger, qu'il en soit ainsi.
Mais
si je suis tienne, alors tu as sérieusement intérêt
à être mien.
—Un
chien dans le garde-manger ?
Il
laissa échapper une bouffée d'air qui aurait pu passer pour un
demi-rire. Il ferma de nouveau les yeux et lui dit d'une voix
raisonnable :
— Si
Léo survit à cette nuit, j'en serai très surpris. Si je te survis,
j'en serai surpris tout autant. (Il la regarda.) Et il n'y a plus
grand-chose qui me surprenne.
Il
traversa la pièce à grandes enjambées, ramassant sa chaise et la
reposant à sa place. Il s'arrêta juste devant Anna et effleura son
menton levé, puis éclata de rire. Sans cesser de sourire, il lui
remit en place une mèche de cheveux derrière l'oreille.
—Je
te promets que tu apprécieras le sexe avec moi, murmura-t-il.