Il ne vit pas venir la gifle qui lui brûla la joue, mais il sentit le loup se déchaîner et la fureur s’emparer de lui. Il la vit pâlir lorsqu’elle comprit ce qu’elle venait de faire et il perçut la peur dans son odeur....
Tout en essayant
de maîtriser sa peur, Chelsea fait face à l’inconnu qui vient de
surgir devant elle et la somme de quitter ses terres. Fascinée,
troublée malgré elle par sa carrure imposante et son regard doré,
elle s’interroge : qui est-il, cet homme aux allures de loups ? Se
peut-il qu’il fasse partie des créatures qui, aux dires des
habitants de la région, hantent les forêts environnantes ? Mais
alors qu’il réitère son ordre d’une voix menaçante, Chelsea
soutient son regard avec détermination. Homme ou loup, elle n’a
que faire de ses menaces. Car rien ni personne ne pourra l’empêcher
de retrouver sa sœur, disparue depuis des jours dans ces montagnes
inhospitalières…
La série se
bonifie.
On a ici un un bon opus sans égaler le tome précédent
cependant pour qui j'ai eu un vrai coup de cœur.
Eric
Drake avait toujours été convaincu que les lycans et les humains
n’avaient rien à faire ensemble. Il s’attendait donc au pire en
quittant son 4x4 pour s’approcher du minibus Volkswagen bleu qu’il
venait de repérer. Malgré le contre-jour de la lune pâle, il
aperçut le visage de la conductrice. C’était une humaine. Des
nuages étaient peints sur les flancs de son bus, et Eric songea
brièvement que ce véhicule grotesque aurait été plus à sa place
sur une plage de la côte Ouest qu’ici, en plein cœur des
montagnes du Maryland. Il était garé dans une étroite clairière,
juste derrière une ligne d’arbres, ce qui le dissimulait aux yeux
des voitures circulant sur la route de l’autre côté. Par chance,
deux éclaireurs de la meute Silvercrest l’avaient repéré durant
leur patrouille sur ce tronçon de route qui serpentait jusqu’au
sommet de la montagne, résidence de la meute. N’importe quel
humain pénétrant sur cette zone était en danger de mort.
Eric
évita de penser à ce qui serait arrivé à la femme si elle avait
croisé le chemin de lycans affamés à la recherche de leur proie
dans les bois. La meute avait pour règle de ne pas se nourrir
d’humains. Cependant, certains brisaient ce tabou. Considérés
comme rebelles, ils étaient traqués et exterminés par les
Bloodrunners. L’humaine avait de la chance d’être encore en un
seul morceau. Eric plissa de nouveau les yeux mais, en dépit de
sa vision nocturne exceptionnelle, il ne parvint pas à distinguer
ses traits. Elle semblait faire peu de cas des nouveaux arrivants, ou
alors — à en juger par sa posture raide — elle était dans une
colère noire. Eric ne voyait que son profil, masqué en partie par
de longs cheveux, mais marqué par l’arête joliment dessinée de
son nez délicat et par la courbe douce de ses lèvres.
Quelle
bouche ! songea-t-il en se demandant ce qu’il allait
bien pouvoir faire d’elle. A l’évidence, l’ambiance s’était
encore dégradée depuis qu’il avait reçu le coup de fil
d’Hendricks, l’un des deux éclaireurs. La frustration et la
colère de l’occupante du bus semblaient emplir l’habitacle comme
une brume épaisse. Les épaules relevées, le dos raide, les bras
croisés avec détermination, elle ne semblait pas disposée à
quitter les lieux pour retourner là d’où elle venait.
Eric
inspira profondément afin de capter l’odeur de la femme sur la
brise du soir, mais le bus était bien isolé et les vitres étaient
relevées. Si des volutes s’en étaient échappées lorsqu’elle
s’était adressée aux éclaireurs, elles s’étaient dispersées
depuis longtemps dans le vent qui agitait doucement les arbres,
portant sur ses ailes l’humidité d’un orage imminent. C’était
la météo typique de cette période de l’année dans l’ouest du
Maryland, et il suffit au lycan de jeter un coup d’œil aux nuages
bas qui approchaient pour se rendre compte qu’il serait bientôt
trempé s’il n’activait pas le mouvement. Il referma la porte de
son 4x4, observa les environs d’un regard rapide. L’un des
éclaireurs, un lycan du nom de Francks, se tenait devant la porte du
bus et fixait sans ciller son occupante, tandis que le vent chahutait
ses cheveux blonds. L’autre éclaireur vint à la rencontre d’Eric
et se lança dans le récit des événements, en trébuchant sur
les mots dans sa hâte à tout lui raconter au plus vite.
— Je
vous présente une nouvelle fois mes excuses pour vous avoir dérangé
un vendredi soir, monsieur, mais elle refuse de quitter la zone.
— Qu’a-t-elle
dit ? demanda Eric en regrettant d’avoir déjà fumé la
dernière cigarette de son paquet.
— Elle
nous a montré la photo d’une jeune femme en nous demandant si nous
l’avions déjà vue. Après avoir répondu que non, nous lui avons
demandé de quitter les lieux, mais elle a refusé de se laisser
chasser, insistant sur le fait que nous n’en avions pas le droit.
Nous n’avons pas su comment la faire partir sans… disons… avoir
recours à…
— C’est
bon, Hendricks, murmura Eric afin de le mettre à l’aise, toutes
les infractions commises sur le territoire de la meute doivent être
systématiquement signalées, vous avez fait votre devoir.
Hendricks
n’avait pas terminé son rapport, mais Eric savait déjà ce qu’il
allait lui dire. Face à son obstination, leur seul recours aurait
été la force physique ou la métamorphose, mais cela les aurait
forcés à révéler leur secret. Les jeunes éclaireurs étaient
manifestement très mal à l’aise, et l’entêtement de cette
humaine les avait pris de court.
Eric
avança vers le bus en se grattant la barbe après avoir passé une
main dans ses cheveux. A quoi jouait-elle ? Il était
extrêmement imprudent de camper ainsi seule dans les montagnes, même
si elle dormait dans son bus.
Etait-elle
vraiment à la recherche de quelqu’un ou était-ce un prétexte ?
A en juger par son bus psychédélique, elle pouvait être l’une de
ces illuminées à la recherche d’une communion profonde avec la
nature. La meute avait déjà eu à gérer ce genre d’énergumènes.
A moins qu’il ne s’agisse d’une journaliste à la
recherche d’un scoop… Ils n’avaient vraiment pas besoin de ça
en ce moment. Eric faisait partie des Bloodrunners, des métis dont
le rôle était de dissimuler l’existence des loups-garous aux yeux
des humains et de traquer les lycans rebelles. Ils avaient du travail
par-dessus la tête pour maintenir l’ordre à Shadow Peak. Leur
communauté était déjà bien occupée avec la fondation d’un
nouveau gouvernement, tout en pansant les blessures physiques et
émotionnelles consécutives aux événements traumatisants qui
s’étaient produits cinq mois auparavant. La meute s’était
retrouvée sans chef, trahie, meurtrie. Des adultes avaient perdu la
vie, et des enfants s’étaient retrouvés orphelins.
Les
Bloodrunners se tenaient maintenant à l’écart des affaires
internes à Shadow Peak, mais ils avaient désormais un nouveau rôle
au sein de l’organigramme politique. La sécurité de la meute
était entre leurs mains, et Eric servait en quelque sorte d’officier
de liaison. Les récents événements avaient affaibli le clan, et la
trahison du père d’Eric y était pour beaucoup. Ce dernier avait
en effet comploté pour prendre la place de chef et avait laissé la
meute en position de faiblesse. C’était une période terrible,
pleine d’incertitudes, et les dangers de dérapages étaient
grands, en particulier au voisinage des meutes proches, au nombre
desquelles les Whiteclaw, un peu plus au sud. Par mesure de
précaution, Eric avait décidé avec les Runners de monter la garde
de nuit. La moindre activité suspecte devait être signalée au
responsable en poste cette nuit-là. Depuis le début des tours de
garde, Eric avait eu à faire face à un certain nombre de situations
dangereuses et il commençait à mieux appréhender ce qui
constituait la vie quotidienne des Runners.
Hendricks
rougit et laissa son regard se perdre dans le lointain, évitant
soigneusement de croiser celui d’Eric.
— Non…,
monsieur, répondit-il en bafouillant.
Eric
fit de son mieux pour demeurer impassible.
— Pour
être tout à fait honnête, monsieur, elle est…
— Elle
est quoi ? demanda Eric, gagné par l’impatience.
— Elle
est très différente des autres humaines. J’ai humé l’odeur de
sa peur, pourtant elle a refusé de céder.
Hendricks
déglutit avec peine et agita les doigts avec nervosité.
— Elle
a même sorti un pistolet et a promis de nous tirer dans les…
parties si on osait poser la main sur elle.
L’éclaireur,
embarrassé, soupira de soulagement : il avait réussi à le
dire à son chef… et ses parties étaient intactes.
Eric
ravala un éclat de rire qu’il masqua en petite quinte de toux. Son
humeur enjouée s’évapora au moment où Francks les rejoignit en
regardant par-dessus son épaule.
— Attendez
ici, je vais lui parler, annonça-t-il en se demandant pourquoi ses
hommes évitaient de le regarder en face.
Ce
comportement avait tendance à se généraliser au sein de la meute,
mais il avait espéré autre chose de ces deux-là…
— Soyez
prudent, lancèrent-ils d’une seule voix.
Ils
semblaient vraiment soulagés de lui passer le relais.
La
lune, pleine au firmament, était presque aveuglante, et il sentit sa
bête intérieure remuer dans sa prison de chair, aiguisant ses sens
et ses instincts les plus primaires. La pulsion de la chasse était
en lui, mais il avait été tellement occupé dernièrement
qu’il avait été contraint de juguler ses instincts prédateurs —
ce qui était toujours une mauvaise idée, en particulier lorsque
l’on était issu comme lui d’une lignée puissante. Il était un
loup de l’ombre, le fruit de l’union de deux lignées pures, et
ses besoins étaient plus prononcés que ceux de ses congénères. Il
devait donc faire preuve d’une maîtrise de soi plus forte encore
que les autres lycans. En l’occurrence, c’était le raisonnement
froid de l’homme qui devait primer et non les pulsions animales de
la bête. Malheureusement, le détachement et la décontraction
semblaient vouloir le fuir ce soir. Il approcha du minibus et vit son
occupante bouger légèrement puis se tourner vers lui ; il put
enfin contempler son visage. Il serra les mâchoires et fut comme
cloué sur place.
La
description que lui en avait faite ses hommes ne l’avait pas
préparé à être confronté à une femme aussi… jolie. Attirante,
même. Elle possédait ce genre de beauté qui vous prend par
surprise et vous empêche de détourner les yeux. Aussi détailla-t-il
malgré lui ses traits un à un, en particulier ses lèvres
généreuses, qui semblaient réclamer le plus gourmand des baisers.
Des images plus intimes encore s’imposèrent à lui, des images qui
n’avaient pas leur place dans son esprit, surtout à propos d’une
humaine.
Ça
suffit, mec, concentre-toi ! lui ordonna sa conscience.
Il
devait se reprendre, aussi chercha-t-il à se raccrocher à un
défaut, à une imperfection, mais il n’en trouva aucune. Ce
n’était pas une beauté classique, mais elle était jolie d’une
façon inattendue. Elle avait un visage rond avec un petit nez et de
fins sourcils, qui surmontaient de grands yeux bleus. Curieusement,
au lieu de lui donner un air enfantin, cela lui conférait une sorte
d’innocence féminine assez irrésistible qui donna
immédiatement envie à Eric d’ouvrir ces jolis yeux sur un monde
de débauche et de lui faire découvrir le plaisir par les sentiers
les plus… raides.
Et
voilà, tu te remets à imaginer des scénarios scabreux !
Il
jura dans sa barbe en se demandant ce qui clochait chez lui. Il avait
du mal à se l’avouer, mais elle lui faisait un tel effet qu’il
était à deux doigts de tourner les talons. C’était plus qu’une
simple attirance sexuelle — déjà considérablement problématique
à elle seule —, il lui semblait que cette humaine représentait
une menace pour lui ; ce qui était parfaitement ridicule.
C’était lui le monstre dans l’histoire, la créature redoutable
qui rôdait la nuit, pas elle ! Et pourtant il avait du mal à
respirer, et ses jambes semblaient lui suggérer de repartir en sens
inverse. Il fourra les mains dans ses poches et serra les dents. Une
goutte de sueur roula sur son front tandis qu’il faisait signe à
la conductrice d’abaisser sa vitre. Il fallait se débarrasser de
ce problème vite et bien. Elle ne bougea pas, se contentant d’arquer
un adorable sourcil, sans même prendre la peine de ciller. Eric
soutint son regard, déterminé à ne pas se laisser vaincre aussi
facilement que ses éclaireurs. Face à son mutisme, il fit en sorte
d’adopter le ton le moins menaçant possible.
— Je
n’ai pas l’intention de vous faire du mal, madame, je veux juste
vous parler.
Elle
le détailla des pieds à la tête, puis elle fit non de la tête en
le défiant d’un geste du menton.
Pourquoi
ça m’arrive à moi ce genre de truc ? Dire que Jeremy aurait
pu être de garde…
— Ecoutez,
moi aussi je peux être têtu, alors faites-nous gagner du temps et
baissez cette satanée vitre, lança-t-il sans parvenir cette fois à
rendre sa voix plus douce.
La
conversation s’annonçait rude, tant le loup en lui frappait
fort contre les cloisons de son corps : la bête avait remarqué
la jeune beauté et était bien déterminée à se faire entendre.
Cette fois elle ne secoua pas la tête ; il y avait du progrès.
Elle se contenta de dresser son poing menu et de… dégainer son
majeur de façon obscène.
Qu’est-ce
que…
Eric
n’en revenait pas. Cette fille n’était vraiment pas nette. Il
sortit les mains de ses poches et les posa avec lenteur de part et
d’autre de la portière conducteur. Puis il s’approcha, son
souffle déposant de la buée sur la vitre.
— Vous
ne pouvez pas rester ici. Alors soit vous démarrez votre épave et
vous filez, soit vous acceptez de discuter, proposa-t-il d’une voix
légèrement menaçante.
Si
un regard pouvait tuer, Eric aurait alors rendu son dernier souffle,
mais au moins son insistance porta-t-elle ses fruits. Elle décroisa
les bras et révéla ainsi un décolleté qu’il eut toutes les
peines du monde à ne pas fixer avec appétit. Il s’imposa de
rester vissé à son regard et lut sur ses lèvres charnues ce qui
ressemblait nettement à une injure. Puis elle abaissa sa vitre. Dans
la seconde qui suivit, il inspira et examina mentalement ce que
l’odeur de l’inconnue recélait comme informations. A son
comportement étrange, il s’était attendu à ce qu’elle empeste
la drogue ou l’alcool, mais il ne perçut rien de tel. Elle avait
une odeur… indéfinissable, comme une énigme olfactive. C’était
frais, agréable, mais d’une complexité presque douloureuse. Comme
s’il avait sur le bout de la langue la réponse à une question
qu’il ne se souvenait pas d’avoir posée.
Eric
recula de quelques pas, décontenancé par la réaction de son loup.
Sa libido était en feu, mais il neparvenait pas à décrypter cette
fragrance inconnue et hypnotique.
Cette
odeur lui donnait envie de… Non. Il secoua la tête pour chasser
cette idée folle qui ne ferait qu’empirer une situation déjà
complexe. Cette fille était un appeau à ennuis, et il n’avait pas
besoin de ça en ce moment. Dès qu’elle aurait disparu du paysage,
il l’oublierait, aussi aisément qu’il avait oublié les autres
femmes qui avaient éveillé son intérêt. C’était couru
d’avance. Il lui restait à convaincre cette beauté d’aller
poser son joli petit derrière ailleurs que sur leur propriété, et
tout rentrerait dans l’ordre.
La
chose ne devrait pas être trop compliquée, songea-t-il, mon
espèce est au sommet de la chaîne alimentaire et la sienne
non. Même si elle ignorait à quel point il était
différent, elle ressentirait la présence d’un prédateur et elle
comprendrait spontanément que l’endroit n’était pas sûr pour
elle, de la même façon que n’importe qui évitait d’entrer dans
une ruelle sombre ou faisait un détour pour éviter un chien
montrant les crocs. C’était instinctif, une simple pulsion de
survie. Pourtant, lorsqu’il plongea dans ce regard brûlant comme
un ciel d’été, il comprit que rien ne serait aussi simple. Il sut
qu’elle serait un vrai fardeau, mais loin de l’effrayer cette
perspective le laissa étrangement froid.
Plus
inquiétant, il comprit que son loup tout autant que lui appréciait
le défi qu’elle offrait.